Les gens ont par conséquent réagi de la même façon que la plupart
d’entre nous réagissent aux récits de chasse aux bisons – et avec la même
préoccupation morale, à savoir que les raisons pour tuer les animaux ne
justifient pas la cruauté et la gratuité du procédé. Les partisans du massacre
des moutons ont néanmoins écarté les critiques comme étant des sentiments
exprimés par des gens qui ignorent les objectifs de la restauration d’habitat.
La question que je veux examiner ici est celle de savoir s’il y a, en réalité,
une similitude entre les raisons qui ont motivé la tuerie des moutons et celles
qui ont motivé la tuerie des bisons. Les restaurationnistes avanceront que les bisons ont été tués
par des gens dont les intérêts étaient égoïstement anthropocentriques,
alors que les moutons et les cochons férals sont tués par des gens dont
l’intérêt est la réparation des dommages causés à l’environnement par des
générations antérieures d’humains irréfléchis. Les buts semblent certainement
distincts, mais il y a ici un commun dénominateur : c’est nous, les
humains, qui déterminons qu’une espèce ne « cadre plus », qu’elle
doit « disparaître », et nous déterminons cela selon que l’existence
de cette espèce s’oppose on non à nos propres intérêts – nos intérêts étant, à
un certain moment, l’expansion économique, à un autre moment, le plaisir de
visiter des paysages restaurés. Eric Aschehoug, un biologiste de The Nature
Conservancy, a dit au sujet de l’abattage des cochons sur l’île de Santa
Cruz : « Notre intérêt est la restauration d’une île.
Malheureusement, les cochons gênent. »
Notre
désir de faire reculer l’horloge écologique et de recréer un paysage qui
existait avant l’introduction des espèces européennes est discutable. Examinons
les remarques de William Cronon (1), défendant la nécessité
d’une réévaluation critique de nos idées sur la nature et la wilderness : « Une étude
récente a clairement démontré que le monde naturel est bien plus dynamique,
bien plus changeant, et bien plus lié à l’histoire humaine que les croyances
populaires concernant "l’équilibre de la nature " ne
l’ont généralement reconnu. Beaucoup de croyances populaires au sujet de
l’environnement reposent sur la conviction que la nature est une communauté
stable, holistique, homéostatique, capable de préserver son équilibre plus ou
moins indéfiniment si seulement les humains évitent de la "déranger".
C’est
en fait une supposition très problématique. » De la même façon, Mark
Sagoff (2), argumentant contre les « luttes en règle » contre les espèces exotiques, observe que « les écosystèmes n’ont pas d’ordre, de but, d’intention ; ils n’ont aucun équilibre à perturber ». L’introduction d’espèces et les changements environnementaux ont lieu sans influences anthropogéniques. Si l’île de Santa Cruz était demeurée jusqu’à aujourd’hui préservée de toute invasion d’humains européens, elle ne serait pas davantage telle qu’elle était en 1400 après J.C. Et même si nous étions capables aujourd’hui de restaurer son apparence de 1400 après J.C., sa proximité avec le continent entraînerait l’introduction de plantes et d’animaux « exotiques » par le biais des vents, des courants, et des visiteurs humains. Aussi la restauration sera-t-elle un processus continu, géré par des humains, et exigeant une intervention constante. On peut prétendre que le résultat – la conservation des espèces indigènes – est désirable, mais le processus de réalisation et d'entretien d'un paysage pré-européen sera une activité aussi « naturelle » que l’est l’architecture paysagère. C’est la volonté humaine et la technologie qui transforme la wilderness en jardin, et le jardin en wilderness. Et il est paradoxal que l’idéologie de la nature et de la wilderness, qui rejette les changements anthropogéniques, doivent aussi dépendre des changements anthropogéniques pour reconstruire des paysages.
Les restaurationnistes opposent leur attribution d’une valeur intrinsèque au monde naturel au point de vue selon lequel la nature n’a de valeur qu’en tant que ressource exploitable par les humains. Kate Faulkner, responsable des ressources naturelles pour le Parc national des Îles Channel, dit « auparavant, nous attribuions de la valeur aux îles en fonction de leur capacité à fournir des produits de base et maintenant nous sommes dans une nouvelle époque de restauration et de protection environnementale des plantes naturelles et d’élimination des animaux causant beaucoup de destruction » (3). La restauration demande que l’on perturbe un écosystème actuel jugé « dénaturé ». Examinons l’opposition exprimée dans ce commentaire « les animaux introduits représentent un danger de mort pour les écosystèmes naturels de l’île»(4). La justification de la restauration repose, premièrement, sur la construction de distinctions conceptuelles entre « natif » et « introduit », « indigène » et « exotique », « sauvage » et « féral » - distinctions qui peuvent s’avérer indéfendables dans des
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1. Cronon, E., 1996., Uncommon Ground : Rethinking
the Human Place in Nature, WW Norton & Co, 2nd ed. New York, p. 24.
2. Sagoff, M. 2000. “Why Exotic Species Are Not as Bad
as We Fear”, Chronicle of Higher Education, June 23: B7.
3. Polakovic, G. op. cit.
4. Schoenherr, A.A., Feldmeth, C.R., Emerson, M.J., 1999, Natural History of the Islands of California. Berkeley/Los Angeles : University of California Press.